Notes de l'auteur-1
Si j’interromps subitement ce récit, c’est pour m’adresser à l’éventuel lecteur de ces pages noircies d’encre bleu nuit. Qui sait ? Quelqu’un lira peut-être un jour ces carnets. Je devine ou du moins j’imagine son air dubitatif à l’évocation d’un chat subitement doué de la parole, et, qui plus est, un brin psychologue, pour faire bonne mesure. Comment ne pas, tout comme lui, hausser les épaules, soupirer et penser que mes longues années d’enseignement dans un trou perdu de la France profonde n’aient chambardé à tout jamais mon entendement ? Il est probable qu’il soit tenté de penser que ma plume, à l’instar de ma cervelle, délire. Un fou racontant l’histoire d’un vieux fou, voilà à quoi se résument ces premières pages. Sans doute as-tu raison, lecteur, ô combien raisonnable et aux neurones dressés à la logique cartésienne lors de ton apprentissage sur les bancs de l’école tout autant publique, laïque que républicaine et pourquoi pas privée, je suis tout sauf sectaire: il n’y a dans ces lignes qu’un fatras d’inepties. C’est ce que j’avais conclu moi-même - si cela peut te rassurer - lorsque Jules me prit pour confident.
Cela s’est passé il y a déjà bien longtemps, en 1967, juste après mon affectation dans ce trou perdu où mon ambition naturelle de jeune homme qui croit dur comme fer en son avenir, me dictait de ne pas moisir très longtemps. 1967, un peu moins d’un an avant le grand chambardement. Tu sais, tu n’as pas déjà oublié… 68… les pavés, la plage et les CRS… Tu n’aurais trouvé dans ce bourg du centre de l’hexagone aucune chemise à fleurs et garçon à cheveux longs. Aucun « Peace and love » graffité sur les remparts. Réclamer Charlie Hebdo à la marchande de journaux était aussi scandaleux que de lorgner en catimini sur les pages centrales de Playboy. Tu aurais entendu des fenêtres entrouvertes les roucoulades de Tino Rossi plus facilement que les éructions de Mike Jagger. Une immersion dans un village qui comptait une cinquantaine de postes de télévision dont la moitié encore en noir et blanc pour un peu moins de 1200 habitants. Écrans qui s’allumaient pour les allocutions du grand Charles ou le Palmarès des chansons et s’éteignaient dès le générique d’Âge tendre et tête de bois, rebaptisé à l’époque, Tête de bois et tendres années. Imagine mon désespoir et surtout mon ennui ! Les visites de Jules et ses délires devinrent vite mes seuls divertissements.
Je m’aperçois subitement du ton familier sur lequel je m’exprime. Excuse-moi d’employer ce tutoiement amical, mais si tu lis ce manuscrit, c’est, à moins qu’on ne me l’ait volé, que je te connais assez pour te l’avoir confié, voire soumis à ton jugement. Oui, il ne risque pas de faire l’objet d’une publication et d’orner un jour ta bibliothèque.
Ah ! ha ! j’entends, comme si j’y étais, les sarcasmes d’un éditeur averti : « Vous ne pensez quand même pas intéresser les lecteurs avec vos élucubrations d’un autre âge ? Vous n’avez pas plutôt des confidences à livrer sur une horrible maladie rare, voire, même si cela a déjà été maintes fois exploité, un cancer contre lequel vous vous seriez battu et que vous auriez vaincu, ou un viol que vous auriez subi dans votre jeunesse, une histoire d’amour impossible ou au contraire la haine de votre père ?… Écrivez, je ne sais quel polar bien sanglant ancré dans du social, sordide de préférence, désolé pour le pléonasme, et avec du sexe cru, de l’érotique limite pornographique. Dénoncez, témoignez, attaquez… faites peur, faites pleurer, faites bander… maintenez la tête de votre lecteur sous l’eau ou sous la ceinture, vous verrez il va adorer… l’époque est au trash et aux sensations fortes, pas aux contes de fées… et puis ce style vieillot, ce vocabulaire dépassé… vous croyez qu’un jeune sait ce qu’un jau veut dire et qu’il va se passionner pour l’histoire d’un vieux grabataire? Vous êtes complètement à côté de la plaque… Tiens, j’ai autant envie de vous publier que si vous me soumettiez un recueil de poèmes. Tout le monde écrit de la poésie, mais personne n’en achète… Vous souhaitez la faillite de ma maison d’édition ? » Etc… etc. Et il n’aurait sans doute pas tort…
Bon, j’arrête mes digressions qui n’ont que peu d’intérêt puisque mes notes restent et resteront secrètes… Revenons à mon sujet. Donc, à l’époque où Jules vint me trouver pour me faire ses confidences, environ sept ans après les événements, j’avais accordé tellement peu de crédit à ses propos que je n’avais pas cédé à l’envie de prendre des notes et qu’il me fallut par la suite reconstituer le début de l’histoire. En revanche, mon attachement au Berry qui vint sur le tard et pour des raisons que je t’expliquerai peut-être au cours de ce récit, doublé de mon goût tout personnel pour les écrits de la bonne dame de Nohant, m’ont habitué sans peine aux divagations et superstitions locales. Ma curiosité, secondée par ma manie de l’ordre et du classement apporta rapidement quelques éléments supplémentaires qui éclairèrent ma lanterne. L’ancien instituteur qui m’avait précédé dans ce village et préparé plusieurs générations au Certificat d’études, avait lui aussi consciencieusement gardé dans des cartons entreposés dans le grenier de l’école, les multiples dictées, rédactions, exercices de calculs, interrogations d’histoire et de géographie, sources d’embarras et de coups de pied aux fesses pour les potentiels impétrants.
En feuilletant ses dossiers triés par années scolaires, il me fut aisé de retrouver les copies de Jules et de m’apercevoir que si l’ancien maître d’école n’hésitait pas à piocher ses textes dans la littérature de George Sand, il ne boudait ni Colette, ni Stahl, ni Marcel Aymé alors jeune, peu connu et pas encore détesté. Et qu’avaient en commun tous ces auteurs ? me demanderas-tu, cher lecteur : l’amour des contes et la singulière manie de faire parler des animaux. Si j’ajoute que le sujet de l’une des rédactions de Jules était d’imaginer la suite d’un extrait du Chat Murrd’Hoffmann, chat qui, soit dit en passant, apprend à lire et à écrire en observant son maître, tu comprendras aisément que la tête truffée depuis le plus jeune âge par de telles sornettes, le bonhomme avait bien des raisons de prêter au chat du vétérinaire de semblables dons.
Qu’il ne t’en déplaise et afin que ma démonstration soit des plus crédibles, je tiens l’argument choc devant lequel il te sera difficile de crier à l’imposture : le jour même du Certificat d’études, certes c’était en 1935 et Jules avait déjà quitté l’école, la dictée officielle était un extrait Du mauvais jars de Marcel Aymé. Le choix de ces textes pouvait, je l’avoue bien volontiers, retenir l’attention de minots vivant tous les jours au contact de la nature et des animaux de la ferme, les rendre par leur familiarité plus dociles aux règles de l’orthographe et de la grammaire, mais il renforçait, hélas, dans leurs esprits crédules, la croyance en des pouvoirs surnaturels qui ne pouvait être battue en brèche par une parenté elle-même parfaitement rompue aux légendes du pays.
Heureusement, lorsque j’ai commencé à exercer ce beau métier, l’éducation nationale était devenue plus vigilante et les textes d’Alfonse Daudet ou de Marcel Pagnol que je dictais à mes élèves étaient choisis pour la qualité de leur syntaxe, la richesse de leurs mots, la difficulté de leurs accords, mais aussi pour la vraisemblance des idées et des images qu’ils imprimaient dans leurs cerveaux. Si le cantonnier avait été mon élève, les choses auraient pris un tour bien différent. Bien entendu, on lui avait enseigné la morale, le nom des villes de l’Afrique occidentale et équatoriale française, les subtilités du calcul du débit d’un appareil d’arrosage, mais on avait également semé dans sa petite tête de gamin, les graines fertiles de l’imagination.
À partir de ce constat, j’en déduisis que quelques pintes de vin gris suffisaient à provoquer les pires hallucinations, à faire remonter au cortex cérébral de mon nouvel ami les visions les plus inouïes et la réminiscence de vieilles lectures. Il ne s’agissait pourtant que d’une hypothèse. J’y tiens toujours car elle rassure ; elle me rassure. Tu es libre cher lecteur de te ranger ou non à mon avis quoique la suite de l’histoire entretienne toujours le doute dans mon esprit. Et pourtant, je n’ai jamais bu un trait de sa piquette. Il me faudra assurément te donner par ci, par là, quelques clés pour bien comprendre ma perplexité, mais tout d’abord retrouvons Arsène et Jules dans les rues du village et pardonne-moi cette longue, trop longue parenthèse.
à suivre...
©Catherine Dutigny/Elsa, avril 2014
Ne t'inquiète pas Elsa, ces grimoires resteront secrets, nous y veillerons tous, il ne faudrait pas qu'un malandrin s'en empare !!
RépondreSupprimerJ'y compte bien Eponine... tu imagines qu'ils soient lus ou pire écoutés! Tssssssssssss, j'en frémis d'avance... tiens, rien que d'y penser, je vais bruler ces cahiers... comme cela, plus rien à craindre...
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