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jeudi 31 juillet 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 18








Amour dans les champs



Suite 18



Tapi au pied d’un ormier, il attendit que la plainte cesse de résonner dans ses oreilles pour oser allonger le cou et essayer grâce à ses fibrilles de mieux en déterminer l’origine… Les ondes qui s’amenuisaient dans l’éther lui indiquèrent une provenance différente de celle de la rivière. Les Martes auraient-elles quitté leur refuge aquatique pour se livrer à leurs débauches dans un pré ? Jules n’avait pas mentionné cette possibilité et Arsène en avait conclu, sans doute un peu rapidement, qu’elles ne quittaient jamais le lit du Portefeuille. Perplexe, il n’osa pas bouger de peur d’exciter la convoitise des diablesses. L’inactivité lui pesait d’autant plus que la faim ravivée par la proximité d’un fabuleux repas le poussait à prendre des risques. Il voulut en avoir le cœur net. Lentement, il s’avança à pas feutrés vers un massif de sureaux et d’aubépines, lieu probable où les créatures devaient s’être assemblées. Un nouveau son s’en échappa. Il ne s’agissait pas cette fois d’un gémissement, mais plutôt d’un murmure suivi d’un ânonnement rauque et bref. Puis un râle se mélangea à un gloussement qui se mua en un soupir de contentement. Arsène se faufila sous les grappes de baies noires au pied d’un sureau et inspecta la petite clairière qui s’étendait derrière son abri végétal. Il distingua très nettement deux formes humaines qui au lieu de se tenir debout ou assises comme à leur habitude étaient allongées sur un plaid écossais et s’agitaient dans des mouvements qui lui parurent désordonnés et bien peu habituels. Il reconnut la chemise à carreaux style western préférée du fils Blandin et sous lui, échappant d’une robe vichy retroussée haut, les guiboles affriolantes de la Moune.


Les ébats dont il était devenu le spectateur involontaire le laissèrent un court instant interloqué. Il est vrai que la vie monacale de son bon maître ne l’avait guère préparé à surprendre deux humains en péché de chair. En revanche, il était parfaitement au fait de l’accouplement de ceux de son espèce et il lui fallut peu de temps pour réaliser de quoi il retournait. La curiosité l’emporta sur le sentiment gênant de s’être transformé en voyeur. Sa culture générale s’en trouva profondément modifiée et il fut surpris par l’étendue et la diversité des pratiques sexuelles des humains ainsi que par la durée de leurs rapports. L’observation prolongée commença à l’ennuyer. Après tout, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat, comme les humains se plaisaient à le dire quoique cette affirmation lui laissât toujours une impression désagréable. Aussi, fut-il bientôt satisfait quand il vit le fils Blandin, rouler sur le côté, mine béate, joues en feu et pantalon sur les chevilles. La Moune se redressa sur ses coudes, pivota gracieusement sur sa gauche et vint déposer un tendre baiser sur les lèvres de son amant.


« Pourvu qu’ils ne remettent pas ça ! » pensa Arsène en laissant échapper un soupir de chat.


Les deux tourtereaux se prodiguèrent encore quelques caresses, mais ayant, pour le moment, épuisé leurs forces, ils se blottirent l’un contre l’autre dans un contact plutôt chaste et romantique.


- Tu m’aimes, mon Jérôme ? murmura la Moune.


Le fils Blandin l’enveloppa d’un regard à la fois tendre et possessif.


- Bien sûr, que je t’aime… ma Mounette.


- Alors qu’est-ce que t’attends pour m’épouser ?


Le visage du fils Blandin se referma aussitôt. Il se leva en rajustant son pantalon, puis chercha dans la poche de sa veste étendue sur l’herbe de la clairière un paquet de cigarettes et un Zippo. Le temps qu’il prit pour allumer sa clope indiquait autant son embarras que l’envie de faire diversion et de reléguer aux oubliettes le contenu de cette seconde question. Apparemment la Moune ne l’entendait pas de cette oreille. Elle revint à la charge avec obstination.


- Quand est-ce qu’on se marie ? Je suis sûre que le père serait d’accord, quant à la mère, elle ne demande que cela. Elle en a marre de me voir traîner dans ses jupes. J’ai l’âge et toutes mes amies sont déjà mariées ou fiancées, alors qu’elles sont bien moins belles que moi. Tu veux que je finisse vieille fille ? Et d’abord qu’est-ce qui te dit que je n’attends pas un bébé de toi ?


Le visage de Jérôme devint livide et la cigarette trembla entre ses lèvres.


- Tu…


- Nan, je te chambre… Je t’ai fait peur, hein ? Suis pas enceinte, enfin pas encore… ajouta t-elle en caressant son ventre plat.


- Ben ça, oui, tu m’as foutu une sacrée trouille… C’est pas très malin de plaisanter avec ce genre de truc. Se marier, on a encore le temps. Faut que j’assure d’abord ma carrière et mon mandat à présidence de la SCAB se termine en fin d’année. Laisse-moi trouver de quoi faire bouillir la marmite et élever comme il se doit une gentille famille. Tu sais que je n’aime que toi et combien je désire qu’un jour tu deviennes ma femme…


Arsène qui avait appris à déchiffrer les sentiments rien qu’en scrutant les visages des humains pendant qu’ils parlaient, releva chez le fils Blandin une crispation des lèvres qui démentait formellement ses propos. Il mentait, pour Arsène c’était une évidence. Pourtant la Moune parut boire les paroles de son Jérôme et se jeta dans ses bras au risque de roussir quelques mèches à l’incandescence de la cigarette.


- Tu sais après le cauchemar que j’ai fait cette nuit, je n’y croyais plus vraiment…


- Tiens toi aussi t’as fait un cauchemar ? répliqua Jérôme, visiblement satisfait de changer de sujet.


- Oui… je devais être morte, parce que je m’étais transformée en fantôme et que j’errais sur les toits. T’imagine, moi qui ai le vertige… et puis, ça sentait le brulé… ça puait la mort même si tu veux savoir… et tu y étais toi aussi et le Cormaillon, et l’Augustin et cette garce de Marthe… Oh, mon Jérôme, c’était horrible, comme si tous ces gens voulaient s’étriper… que de la méchanceté autour de nous…


- Bizarre, j’ai fait à peu près le même rêve. Mais il y avait aussi Jules, tu sais le cantonnier et puis deux autres formes, mais je ne me souviens plus très bien. Pas vu mon père par contre. Tu l’as vu, toi ?


- Ton père, non… c’est pareil, je ne me souviens plus… tout cela était embrouillé et tellement horrible que je préfère oublier. Et pourquoi que ton père, il aurait été là… ? Tu vois mon Jérôme, même nos cauchemars sont les mêmes. Ce serait pas le signe qu’on est faits l’un pour l’autre ?


- Plus qu’un signe ma Mounette… une certitude. Mais ne traite pas la Marthe de garce. Je suis convaincu que c’est une femme adorable.


Arsène fronça le museau. Ce type mentait comme il respirait.



©Catherine Dutigny/Elsa, juillet 2014


à suivre...

3 commentaires:

  1. Quel philosophe cet Arsène, bien contente qu'il ait échappé aux martes !!! Bravo comme toujours pour cette suite pour public averti !!! Casquette bien bas ! bises !!! Vite la suite !

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  2. Cela reste quand même très "soft" Eponine.... pas de quoi fouetter un chat :-) Bises à ma casquette préférée!

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  3. De la badinerie et un zeste d'humour,un Arsène qui a l'air de s'y connaître en fourberies, gageons que le Jérôme va lui faire un tour de cochon, à sa dulcinée ! Pour le public, étant très avertie, je ne qualifierais pas le texte ainsi, c'est une leçon de choses goûtue subtilement dessinée !

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