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mardi 8 juillet 2014

MARCEL FAURE - 0091 à 0095 de La danse des jours et des mots

MISE EN VOIX MARCEL FAURE




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Jeudi 22 décembre 2011 

Dans la fièvre insensée qui précède ces jours de fêtes, je ne suis qu'une girouette. Un jour tout chocolat, le lendemain ascète, regrettant mes débauches, je me débats dans mes contradictions.
La ville sonorisée, rythme le pas des promeneurs que les commerces avalent et recrachent plus lourdement chargés. Satisfaire aux coutumes me pèse. Pourtant, tous ces visages, pour une fois souriants, ne pestent plus contre la pluie, le froid, le verglas, et souhaitent que la neige envahisse les rues.
La ville, surchargée de lumières artificielles, fait oublier l'heure tardive. Le tramway bondé rallonge l'heure de pointe. Marrons grillés et vin chaud, personne n'a froid.
Un peu en retrait de ce carrousel échevelé, je guette l'insolite nargué par ce bonheur convenu que Noël convoque une fois l'an.



Vendredi 23 décembre 2011 

Garde-barrière. Hallucinant ! Un garde pour surveiller une barrière ! C'était pourtant la profession de mon père.
Près de la gare SNCF du clapier le passage à niveau est maintenant automatisé. Signalisation sonore, feu rouge et les voies sont protégées, le train peut passer. Avant, chaque passage à niveau était gardé et il fallait descendre la barrière manuellement. Le cheminot de service était prévenu par une sonnerie dans sa petite guérite. Mon père connaissait les horaires par cœur, il pouvait anticiper où retarder cette fermeture.
Ce passage desservait aussi le Puits Couriot, aujourd'hui le musée de la mine stéphanois. Des trains remplis de charbon manoeuvraient à longueur de journée. Monter, descendre, remonter, redescendre avec cette foutue manivelle assez lourde à manier. Une passerelle permettait aux piétons de franchir ce lieu sans danger, mais peu l'utilisaient, préférant se faufiler par le côté pour gagner ... le droit au repos éternel. C'était la hantise de mon père, que quelqu'un échappe à sa surveillance. Heureusement pour lui, aucun accident grave n'est jamais survenu pendant son service.
Une rue donnant accès à ce passage se nomme encore la rue de la Pareille. Enfant je l'écrivais rue de L'appareil, par confusion avec le mécanisme qu'actionnait mon père. Une recherche récente m'apprend que ce nom désigne une variété d'oseille, probablement une déformation de parelle. C'est tout du moins ce qu'affirme une notice sur une rue lyonnaise portant le même nom.
Mon père, pourquoi maintenant, alors que sur sa tombe, je suis vide et parfois un peu triste de ne rien éprouver. Je revois sa silhouette débonnaire et son sourire qui ne savait pas dire non.
Et c'est comme une flèche m'indiquant le chemin.



Samedi 24 décembre 2011 

C'est affreux, dans les rues il y a plus de Pères Noël que de gens normaux. Les enfants guettent désespérés, ne sachant lequel choisir. Ils ne savent pas non plus que minuit sonnera plusieurs fois, histoire de compter les fuseaux horaires.
Un enfant est seul dans la cohue. Caché dans la nuit, je surgis soudain. Barbe blanche naturelle, veste rouge, c'est moi.
- Papy, crie-t-il, joyeux et rassuré.
Allez vous rhabiller Pères Noël de pacotille. Papy assume, papillotes et bisous, Mamy n'est pas loin et tes parents préparent des surprises. Mais chut, j'en ai déjà trop dit.
Souviens-toi du chariot magique, de la lumière crue du flash, de cette photo où tu pleures un peu dans les bras de cet inconnu embarrassé de toi, de la bousculade devant l'allée de neige artificielle et moi qui, à ton age, passait devant ce stand, incrédule, indifférent, déjà dans la marge du temps.



Dimanche 25 décembre 2011

Chaque culture ordonnance le temps ... Les fêtes, les rites, supports de la cohésion d'un peuple, mais aussi de son oppression. Et la douleur infinie des exclus ...
Mais aujourd'hui, je ne veux retenir que les yeux qui pétillent, la lumière, l'étoile, le jour qui se lève comme une promesse accomplie et toutes ces petites mains chargées de rêves. Tes bisous sur mes joues.



Lundi 26 décembre 2011 

Elle tient toujours. Désormais seul vestige du printemps et de l'été, elle tient. Sur la plus haute branche, presque à la hauteur de ma fenêtre, rien que pour moi, elle tient, elle, la Mère Courage de toutes les feuilles. Le grand peuplier frissonne sous le froid, secoue ses branches pour se débarrasser d'un reste de givre.
Elle, impassible.
Debout, bien au chaud, chaque jour je la félicite, je l'encourage et je partage avec elle mon bol de sève, euh, de café. Cette façon désordonnée qu'elle a de résister à un léger brin de brise, elle panique. Je ne la quitte pas des yeux, je l'accompagne, je la soutiens. Si je savais grimper aux arbres, malgré les risques et le froid, j'irais la récolter pour que sa chute soit plus douce.
Elle cède.
Bien à plat sur l'air, je la vois hésiter lentement.
Les escaliers quatre à quatre, à chaque saut, mes reins se plaignent, je dois faire un bruit infernal. Avant qu'elle ne touche le sol, il faut ... je me dois ... vieux fou qui croit encore à ses jambes de vingt ans ... course folle dans l'allée ... plongeon, enfin glissade sur le verglas ... nez en l'air je la vois tourbillonner une dernière fois et venir se poser sur mon ventre.
Les voisins – pas de bobos ? – Non dis-je en souriant.

Ma main comme brancard, elle et moi nous gagnons l'ascenseur. Je vais lui faire un doux linceul entre deux feuilles d'essuie-tout. Demain je l'enterrerai dignement au creux d'un livre.





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