MISE EN VOIX MARCEL FAURE
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Jeudi 22 décembre 2011
Dans
la fièvre insensée qui précède ces jours de fêtes, je ne suis
qu'une girouette. Un jour tout chocolat, le lendemain ascète,
regrettant mes débauches, je me débats dans mes contradictions.
La
ville sonorisée, rythme le pas des promeneurs que les commerces
avalent et recrachent plus lourdement chargés. Satisfaire aux
coutumes me pèse. Pourtant, tous ces visages, pour une fois
souriants, ne pestent plus contre la pluie, le froid, le verglas, et
souhaitent que la neige envahisse les rues.
La
ville, surchargée de lumières artificielles, fait oublier l'heure
tardive. Le tramway bondé rallonge l'heure de pointe. Marrons
grillés et vin chaud, personne n'a froid.
Un
peu en retrait de ce carrousel échevelé, je guette l'insolite
nargué par ce bonheur convenu que Noël convoque une fois l'an.
Vendredi 23 décembre
2011
Garde-barrière.
Hallucinant ! Un garde pour surveiller une barrière ! C'était
pourtant la profession de mon père.
Près
de la gare SNCF du clapier le passage à niveau est maintenant
automatisé. Signalisation sonore, feu rouge et les voies sont
protégées, le train peut passer. Avant, chaque passage à niveau
était gardé et il fallait descendre la barrière manuellement. Le
cheminot de service était prévenu par une sonnerie dans sa petite
guérite. Mon père connaissait les horaires par cœur, il pouvait
anticiper où retarder cette fermeture.
Ce
passage desservait aussi le Puits Couriot, aujourd'hui le musée de
la mine stéphanois. Des trains remplis de charbon manoeuvraient à
longueur de journée. Monter, descendre, remonter, redescendre avec
cette foutue manivelle assez lourde à manier. Une passerelle
permettait aux piétons de franchir ce lieu sans danger, mais peu
l'utilisaient, préférant se faufiler par le côté pour gagner ...
le droit au repos éternel. C'était la hantise de mon père, que
quelqu'un échappe à sa surveillance. Heureusement pour lui, aucun
accident grave n'est jamais survenu pendant son service.
Une
rue donnant accès à ce passage se nomme encore la rue de la
Pareille. Enfant je l'écrivais rue de L'appareil, par confusion avec
le mécanisme qu'actionnait mon père. Une recherche récente
m'apprend que ce nom désigne une variété d'oseille, probablement
une déformation de parelle. C'est tout du moins ce qu'affirme une
notice sur une rue lyonnaise portant le même nom.
Mon
père, pourquoi maintenant, alors que sur sa tombe, je suis vide et
parfois un peu triste de ne rien éprouver. Je revois sa silhouette
débonnaire et son sourire qui ne savait pas dire non.
Et
c'est comme une flèche m'indiquant le chemin.
Samedi 24 décembre 2011
C'est
affreux, dans les rues il y a plus de Pères Noël que de gens
normaux. Les enfants guettent désespérés, ne sachant lequel
choisir. Ils ne savent pas non plus que minuit sonnera plusieurs
fois, histoire de compter les fuseaux horaires.
Un
enfant est seul dans la cohue. Caché dans la nuit, je surgis
soudain. Barbe blanche naturelle, veste rouge, c'est moi.
-
Papy, crie-t-il, joyeux et rassuré.
Allez vous rhabiller Pères Noël de pacotille. Papy assume,
papillotes et bisous, Mamy n'est pas loin et tes parents préparent
des surprises. Mais chut, j'en ai déjà trop dit.
Souviens-toi du chariot magique, de la lumière crue du flash, de
cette photo où tu pleures un peu dans les bras de cet inconnu
embarrassé de toi, de la bousculade devant l'allée de neige
artificielle et moi qui, à ton age, passait devant ce stand,
incrédule, indifférent, déjà dans la marge du temps.
Dimanche 25 décembre
2011
Chaque
culture ordonnance le temps ... Les fêtes, les rites, supports de la
cohésion d'un peuple, mais aussi de son oppression. Et la douleur
infinie des exclus ...
Mais aujourd'hui, je ne veux retenir que les yeux qui pétillent, la
lumière, l'étoile, le jour qui se lève comme une promesse
accomplie et toutes ces petites mains chargées de rêves. Tes bisous
sur mes joues.
Lundi 26 décembre 2011
Elle
tient toujours. Désormais seul vestige du printemps et de l'été,
elle tient. Sur la plus haute branche, presque à la hauteur de ma
fenêtre, rien que pour moi, elle tient, elle, la Mère Courage de
toutes les feuilles. Le grand peuplier frissonne sous le froid,
secoue ses branches pour se débarrasser d'un reste de givre.
Elle,
impassible.
Debout,
bien au chaud, chaque jour je la félicite, je l'encourage et je
partage avec elle mon bol de sève, euh, de café. Cette façon
désordonnée qu'elle a de résister à un léger brin de brise, elle
panique. Je ne la quitte pas des yeux, je l'accompagne, je la
soutiens. Si je savais grimper aux arbres, malgré les risques et le
froid, j'irais
la récolter pour que sa chute soit plus douce.
Elle
cède.
Bien
à plat sur l'air, je la vois hésiter lentement.
Les escaliers quatre à quatre, à chaque saut, mes reins se
plaignent, je dois faire un bruit infernal. Avant qu'elle ne touche
le sol, il faut ... je me dois ... vieux fou qui croit encore à ses
jambes de vingt ans ... course folle dans l'allée ... plongeon,
enfin glissade sur le verglas ... nez en l'air je la vois
tourbillonner une dernière fois et venir se poser sur mon ventre.
Les voisins – pas de bobos ? – Non dis-je en souriant.
Ma main comme brancard, elle et moi nous gagnons l'ascenseur. Je vais
lui faire un doux linceul entre deux feuilles d'essuie-tout. Demain
je l'enterrerai dignement au creux d'un livre.
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